P. Kænel u.a. (Hrsg.): Les images en guerre (1914–1945)

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Titel
Les images en guerre (1914–1945). De la Suisse à l’Europe


Herausgeber
Kænel, Philippe; François Vallotton
Reihe
Médias et histoire
Erschienen
Lausanne 2008: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
214 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Rémy Pithon

Les travaux sur l’exploitation des sources iconographiques de l’histoire contemporaine sont actuellement à la mode. Mais la démarche est parfois d’autant plus balbutiante que certains chercheurs qui se sont autoproclamés spécialistes ont du mal à adapter leur formation classique d’historien à un matériel documentaire qui pose des problèmes spécifiques, ou, à l’inverse, à se soumettre aux règles méthodologiques inhérentes au métier d’historien. Fort heureusement, les publications de la collection «Médias et histoire» jouissent d’une sorte de label de qualité, en général plutôt justifié. Il s’agit souvent d’ouvrages collectifs, et tout particulièrement d’actes de colloques universitaires, ce qui s’explique sans doute par le fait que, devant l’immensité du territoire à explorer, les synthèses seraient prématurées.

Il en va ainsi de l’ouvrage qu’ont dirigé Philippe Kænel et François Vallotton: l’ambition affichée dans l’Avant-propos est pourtant considérable, puisqu’il s’agit de «propose[r] une lecture matérielle, sociale, esthétique des cultures de guerre […] dans toute leur diversité: de la littérature à la sculpture, en passant par la gravure, la peinture, la photographie, le cinéma, l’affiche, le dessin animé, la bande dessinée ou la caricature», tout en «privilégi[ant] une démarche transnationale» (p. 5). La Suisse ayant été à leurs yeux «un observatoire privilégié» (ibid.), ils en ont traité eux-mêmes, dans une contribution intitulée «Représenter la guerre en Suisse: du soldat au général», qui tient lieu d’introduction au volume. Ils y insistent sur un problème essentiel, à savoir celui des effets qu’a eus, sur la représentation des événements et sur la production artistique nationale, le statut de «champ de bataille iconographique» (p. 11) assumé par la Suisse durant les deux guerres mondiales.

Cela dit cependant, le lecteur restera sur sa faim. Il trouvera surtout, dans les pages qui suivent, un rappel commode de la situation historiographique actuelle, des travaux disponibles et de la bibliographie. On a en effet déjà beaucoup écrit sur la représentation de la tradition militaire helvétique qu’ont donnée les arts plastiques, ou sur l’imagerie liée à la mobilisation durant les deux guerres mondiales et à l’Exposition nationale de 1939, ainsi que sur la peinture d’histoire. On eût pu souhaiter que ces deux excellents spécialistes proposassent une approche plus novatrice, et surtout plus critique, dans la perspective qu’ils définissent eux-mêmes. C’est ainsi qu’on regrette par exemple que les avatars de la fameuse Sentinelle des Rangiers ne fassent l’objet que d’un récit purement factuel (pp. 18–19), alors que c’eût été l’occasion de s’interroger sur le contresens – intentionnel ou non – qui a fait «lire» la statue comme antifrançaise, et sur la passivité des milieux culturels suisses qui, lors de sa destruction par étapes entre 1984 et 1990, n’ont pas dit haut et fort qu’il s’agissait de vandalisme: qu’on apprécie ou non l’oeuvre de L’Eplattenier, elle appartenait au patrimoine culturel national.

Parmi les neuf autres contributions, certaines se distinguent nettement par la précision du travail de recherche et par la nouveauté des résultats. D’abord celle de Joëlle Beurier, qui a étudié comment les presses illustrées française et allemande ont représenté les combats de la guerre de 14–18. Les lecteurs allemands ont vu essentiellement des gravures, qui montraient avec prédilection des soldats montant à l’assaut, selon le code fixé par la peinture d’histoire; ils se sont donc forgé une image figée et archaïque de la guerre, dans une perspective de «crispation identitaire » (p. 64). Du côté français, c’est la photographie, préférée à la gravure, qui donne à voir avec de plus en plus d’insistance – on utiliserait volontiers le terme de réalisme, s’il n’était pas d’une redoutable ambiguïté – les conditions terribles de la guerre des tranchées et les paysages dévastés. La glorification de l’héroïsme découle donc de la représentation des souffrances endurées et des sacrifices consentis. Ces choix opposés s’inscrivent évidemment dans des traditions culturelles. Mais ce qui importe le plus, c’est que cette presse illustrée a joué un rôle essentiel dans la constitution des mythologies nationales relatives à la Première Guerre, dont on sait de quel poids elles ont pesé dans les décennies suivantes.

Choisissant une démarche aussi originale que risquée, Pascal Chauvie s’est attaché à comparer l’image de la Première Guerre que donnent, sur le moment, puis rétrospectivement, deux artistes qui ont participé aux combats en première ligne, Blaise Cendrars et Otto Dix. Il montre que, dans les deux cas, le passage de l’expression sur le vif à la mise en forme reconstituée postérieurement se marque par une très nette évolution stylistique, comme si la violence insoutenable de l’expérience vécue avait imposé un dynamitage des formes, qui n’aurait pas survécu au processus de la mémoire. Ce parallélisme entre les textes de l’un et les dessins ou les gravures de l’autre – certains sont proprement hallucinants – pose de manière très troublante des problèmes de lecture: l’historien se doit, devant de tels documents, de distinguer nettement «l’objet expérience de guerre» de «l’objet souvenir de guerre» (p. 82).

Ce sont certainement des problèmes méthodologiques de ce genre qui expliquent la méfiance de certains chercheurs devant des sources aussi délicates à interpréter. «Les productions artistiques [peuvent-elles] représenter la guerre moderne? » (p. 39), se demande Nicolas Beaupré, dans une contribution fondée sur l’examen de quelques oeuvres qui évoquent 14–18, les unes sur le moment même, les autres immédiatement après. La question n’est certes pas nouvelle, et c’est bien pourquoi elle est abordée ici dans une perspective qu’on pourrait qualifier d’historiographicocritique. On retiendra surtout que l’auteur insiste sur «la difficulté, […] pour l’historien, de reconstituer les codes culturels» (p. 51), et qu’il propose de s’interroger, non tant sur l’interprétation des oeuvres artistiques issues de l’expérience guerrière, mais plutôt sur leur rôle dans la construction des représentations du conflit. Ce qui nous ramène précisément à l’écriture de l’histoire.

Comme il est normal dans un ouvrage collectif, toutes les contributions ne sont pas du même niveau. On est notamment très déçu par la banalité de celle du spécialiste réputé qu’est David Welch, qui n’apporte rien qui ne soit déjà connu. Beaucoup plus neuve, celle de Céline Schoeni porte sur l’image de l’infirmière que donnent de très nombreux documents iconographiques pendant la Première Guerre mondiale. Le corpus d’affiches et de cartes postales analysé, particulièrement riche, recèle des documents savoureux. Malgré quelque naïveté dans la formulation, les constats qui se dégagent de cette étude sont très intéressants. La construction du personnage de l’infirmière se révèle étroitement dépendante du contexte culturel, et aboutit à des représentations qui n’ont sans doute pas grand rapport avec la réalité vécue. Quant à la contribution de Markus Schürpf, elle attire l’attention sur l’oeuvre fort riche du photographe suisse de presse Paul Senn, qui a réalisé des clichés saisissants au cours de la Seconde Guerre mondiale. L’article est plus informatif que critique, mais très utile.

Les documents iconographiques concernant la guerre font fréquemment l’objet de présentation dans les musées. La région alpine en est plutôt riche, ce qui témoigne d’un gros effort de collaboration transfrontalière. C’est à cet aspect, quelque peu marginal, mais pas mineur, que sont consacrées les pages signées d’Ersilia Alessandrone Perona, qui insiste notamment sur une expérience muséographique originale tentée par l’Istituto piemontese à Turin. Signalons en passant une erreur de traduction: l’emploi malencontreux (p. 172) de «procès» au lieu de «processus» («Cet intérêt croissant pour l’histoire des sociétés en guerre a résulté d’un double procès»). Beaucoup plus marginale encore, la contribution d’Erica Deuber Ziegler et Jean-Louis Feuz consacrée à Marcel Junod «déborde à tous égards le sujet du livre» (p. 187), de l’aveu même de ses auteurs. Non parce que Junod n’était pas un soldat, ni parce que les photos collectées par lui sur les effets des deux bombes atomiques lancées sur le Japon ne concernent pas l’Europe, comme ils semblent le croire; mais parce qu’ils se limitent à raconter les événements, en particulier la constitution des archives photographiques de Junod, sans se livrer à aucune analyse de nature iconographique.

Nous avons gardé pour la bonne bouche l’article le plus inattendu de ce volume décidément bien disparate: celui où Gianni Haver et Michaël Meyer se penchent sur les comic books américains du temps de la Seconde Guerre mondiale, pour en étudier la portée politique immédiate. Ce qui ressort de leur travail, et que résume fort bien leur titre («De l’interventionnisme à l’engagement») serait sans surprise s’il s’agissait du cinéma de la même époque, dont la participation à la propagande de guerre a été démontrée depuis longtemps, y compris le cinéma d’animation, qui a beaucoup mis en scène Superman aux prises avec les Allemands ou les Japonais. Mais retrouver cette thématique dans des sources plutôt éphémères, et dont c’est un euphémisme que de dire que l’historiographie classique ne leur accorde guère de crédit, est aussi plaisant qu’instructif. A condition bien sûr que la solidité méthodologique de la recherche et de l’analyse soit assurée. Ce qui est le cas ici.

Citation:
Rémy Pithon: Compte rendu de: Philippe Kænel, François Vallotton (sous la dir. de): Les images en guerre (1914–1945). De la Suisse à l’Europe. Lausanne, éditions Antipodes, 2008. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 4, 2008, pages 489-491.

Redaktion
Veröffentlicht am
07.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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